La Fissure

Quelques pensées en vrac aujourd'hui. Juste l'envie de partager ces sensations, un peu fortes, un peu amères, un peu déstabilisantes. 

La nuit dernière, pour la toute première fois, du haut de sa toute fraiche et petite année, la grenouille m'a repoussée. Moi qui suis la seule à pouvoir la réconforter quand elle a un gros chagrin, celle vers qui elle se tourne quand elle n'en peut plus, celle qui doit être là pour la bercer le soir pour l'endormir, celle dont le sein est le remède ultime à bien des maux …

Après une soirée bien agitée pour fêter l'anniversaire de l'un de ses cousins et le sien et un coucher bien trop tardif pour une demoiselle de son âge, la grenouille a entamé sa nuit. Mais avant que nous puissions en faire de même, la voilà qui se réveille, pleure, pleure avec de plus en plus d'insistance. Le Daddy se lève, mais n'arrive pas à la calmer. Au contraire, ses pleurs redoublent d'intensité. Il la monte donc dans notre chambre. Je lui tends alors les bras, moment auquel elle arrête normalement de pleurer, se détourne de son père et me tend les bras, avec parfois un grand sourire, surtout si je lui propose de manger. Sauf que là, je la prends dans mes bras, et elle hurle toujours autant, et elle se débat pour se dégager de moi, et elle tend les bras à son père. J'essaie de lui proposer le sein, mais elle s'en détourne. Je la redonne donc à son père, elle me fixe avec ce regard que je ne lui ai jamais vu à mon égard. Un regard presque effaré.

Les pleurs ont continué, mais elle voulait uniquement les bras de son père. Elle hurlait dès que j'essayais de m'approcher. Du coup, je me suis mise en retrait, j'ai observé, j'étais spectatrice.

Puis finalement, elle s'est calmée, lorsqu'on a commencé à jouer avec ses poupées, pour essayer de mettre fin à cette situation infernale. Elle est doucement revenue vers moi, pour un mini câlin, mais avec une certaine timidité et hésitation. Puis elle s'est endormie, sur son père.

Je me suis demandé ce que j'avais fait, pourquoi elle m'en voulait, pourquoi elle me boudait.

J'ai eu envie de pleurer.

Dans le même temps, je m'en suis voulue : cette situation n'est elle pas plus ou moins celle que connait quotidiennement le Daddy ? N'a-t-il pas lui aussi finalement droit à sa petite part d'exclusivité ?

Je n'ai pas compris. Je ne comprends toujours pas.

Mauvais rêve ? Besoin de décharger l'excitation de la soirée ? Terreur nocturne ?

Je n'aurais certainement jamais l'explication.

Tout ce que je sais, c'est que je n'avais jamais imaginé voir ce regard dans ses yeux. Plus exactement, je ne voulais jamais voir ce regard dans ses yeux. 

Je voulais être ce roc sur lequel elle puisse s'agripper par tous les temps, petite arapède. Et cette nuit, le roc s'est un peu fissuré.