dimanche 11 octobre 2015

Les Montagnes Russes (ou Récit d'une grossesse avortée)

(Suite à cette longue absence, voilà un petit bond dans le passé, l'hiver dernier, où nous avons du faire face à cette épreuve qu'est une fausse couche,  événement dramatiquement banal mais qui a profondément marqué ma vie de femme, de maman et la vie de notre famille, un événement qui explique en partie mon silence et dont j'ai besoin de parler aujourd'hui. Un texte écrit il y a quelques mois mais que j'ai décidé de partager aujourd'hui)

Fin Octobre : Je fais pipi sur un bâtonnet. J'ai des doutes, je devrais avoir mes règles, rien ne vient … Négatif

Je pars en vacances, je fais des centaines de kilomètres en voiture, je bois des apéros, je poursuis ma petite vie … me disant que ce retard provient probablement de la fatigue accumulée depuis la rentrée.

Une semaine plus tard : Je fais pipi sur un bâtonnet. Je n'ai toujours pas mes règles. Positif.

ATTACHEZ VOS CEINTURES, C'EST PARTI !

BIM ! L'effet d'une bonne gifle, le truc qui te laisse un peu sur le carreau. Tu as compris mais tu ne réalises pas vraiment. Ce bébé n'était pas prévu, mais je ne peux pas dire qu'il n'était pas désiré. Ce n'est pas particulièrement le bon moment, financièrement parlant. Mais l'écart d'âge avec la grenouille sera parfait. En même temps, niveau timing pour le congé maternité, c'est un peu pourri puisque ça tombe pendant les vacances d'été. Oui mais la naissance serait prévue pour début juillet, date à laquelle ma sœur revient en France pour un mariage … Les idées s'enchaînent dans ma tête, je ne sais plus quoi penser, je ne sais même pas si je suis heureuse ou pas, je suis simplement abasourdie.

Le Daddy est un peu dans le même état que moi.

Le lendemain, on l'annonce à la grenouille, parce qu'elle doit bien sentir qu'il y a quelque chose dans l'air d'inhabituel : « tu sais ma puce, je crois que maman a un bébé dans le ventre ». Réaction inattendue : « NON ! Je veux pas ! » Elle se blottit dans les bras de son père, me regarde comme si j'étais un monstre, pleure. C'est un choc pour elle aussi.

Nous l'annonçons à nos familles.

ATTENTION, ON MONTE !

Petit à petit, ce petit être fait sa place dans notre famille. La grenouille en parle souvent, a des petites pensées pour lui et de grandes questions, s'imagine en grande sœur même si parfois elle ne veut plus et préfère rester un bébé. On va lui acheter des chaussures et voilà qu'elle voit une petite paire de chaussons blancs « trop mignons pour le bébé ». On nous offre une brosse à dents électrique avec quatre têtes : « une pour moi, une pour papa, une pour maman, et une pour le bébé ». Elle se projette et nous projette avec elle. Difficile de rester raisonnable comme lors de ma première grossesse, on a beau savoir que rien n'est gagné, la grenouille nous voit déjà comme une famille, bébé compris. Et puis nous aussi, on l'imagine ce bébé, on fait du Tetris dans nos têtes pour savoir comment on va pouvoir les faire rentrer tous les deux dans la minuscule chambre de la grenouille, on se dit qu'on va devoir changer de voiture, on a même déjà des idées de prénom. Petit à petit, ce petit être se fait une place dans nos têtes … et dans nos cœurs, même si …

CA REDESCEND !

Je commence à avoir des petits saignements, un jour, deux jours … l'inquiétude commence à pointer le bout de son nez. Troisième jour, je fonds en larmes dans la salle de bain. La grenouille fait la sieste. Il faut que j'aille aux urgences, pour être sûre que ce petit être se fait bien une place dans mon ventre. On dépose la grenouille chez mes parents. Aux urgences, après une longue attente, on procède à des examens, examen gynécologique, prise de sang … Tout va bien, il n'y a a priori pas de raison de s'inquiéter, il arrive que les femmes aient des petits saignements en début de grossesse, il n'y a pas lieu de s'alarmer. Je suis rassurée … mais pas complètement sereine.

Le lendemain, on va chercher la grenouille. « Maman, le bébé est toujours là ? - Oui, mon cœur, pourquoi tu demandes ça ? - J'avais peur qu'il se soit envolé » ...

Les saignements passent puis reprennent quelques jours plus tard. Plus importants cette fois. J'ai rendez vous chez ma gynéco le vendredi suivant, je verrai ça avec elle à ce moment là. Mais je m'inquiète. On fête l'anniversaire de la grenouille. Je continue à annoncer la bonne nouvelle, même si au fond de moi, je ne suis pas sereine. Je nuance l'annonce avec des « on verra si ça se passe bien ... » Le soir même, je ne tiens plus, on retourne aux urgences. J'ai besoin d'être sûre que tout va bien. Longue attente, examen, échographie. L'interne : « Je vois bien un embryon, avec un cœur qui bat ». Le soulagement. Il est là, il grandit ! Je respire.

ET CA REMONTE !

La semaine passe, les saignements continuent, ils sont gênants mais je ne m'inquiète pas plus que ça. Je suis même étonnement sereine. Après tout, l'interne a dit que tout allait bien, à quoi bon continuer à se faire un sang d'encre ?

Le vendredi, je vais chez ma gynéco. Examen de routine, annonce de la grossesse, je lui parle des saignements. Elle veut quand même que je fasse une échographie en urgence, parce qu'il doit bien y avoir quelque chose. Elle me met en arrêt de travail pour deux semaines, quoi qu'il en soit je dois me reposer.

J'arrive à trouver un rendez-vous en urgence dans un cabinet de radiologie. Nous y allons tous les trois , le Daddy, la grenouille et moi. Pas moyen de faire autrement. Je ne veux pas y aller seule, appréhendant le résultat et nous n'avons pas le temps de trouver quelqu'un pour garder la grenouille. Attente, examen, Le Daddy se met un peu à l'écart avec la grenouille. Verdict : « il n'y a rien », pas de bébé, il est parti. BIM ! Le Daddy réapparait et me regarde, je lui fais non de la tête, il comprend et je fonds en larmes. La grenouille me regarde et ne comprend pas : « Maman, qu'est ce que tu as ? ». La seule réponse que j'ai trouvée : « le bébé s'est envolé, ma puce » pour reprendre ces mots qu'elle avait prononcés quelques jours auparavant. Elle ne comprend pas vraiment : « Mais il va revenir ? Mais il est où ? Et pourquoi il est parti ? ... » jusqu'à ce que le Daddy utilise les mots justes : « ma puce, le bébé est mort, il ne reviendra pas »

LA CHUTE !

Le soir même, on fête l'anniversaire de la grenouille en famille, après un dernier passage aux urgences pour s'assurer que tout aille bien pour moi.

L'atmosphère est morne et pesante, même si l'on essaie de masquer tout cela sous des sourires.

« Maman, le bébé, je l'aime à la folie des contes de fées, même quand il est mort ». Ma gorge se serre et j'étouffe un sanglot.

Une si petite chose mais qui laisse un si grand vide. Un avortement physique mais aussi un avortement de tout un tas de projets, d'un futur qui se dessinait, d'un futur tué dans l'oeuf, un futur qui n'était pas prévu, qui s'est imposé à nous mais qu'on commençait à apprivoiser et qui s'écroule brutalement.

Et puis il y a la culpabilité, celle à laquelle on ne devrait pas laisser de place mais qui est là malgré tout, se dire qu'on aurait du faire ci ou pas du faire ça, penser qu'on n'a pas désiré ce bébé assez fort et qu'il a préféré partir, imaginer qu'on a sa part de responsabilité, même si a priori on n'y pouvait rien. Se sentir  vide et seule, avant de se rendre compte que de nombreuses femmes de mon entourage sont passées par cette épreuve, mais que finalement sa banalité n'enlève rien à sa brutalité.

Je n'aurais donc jamais de deuxième grossesse menée à terme. Cette grossesse restera un fantôme. Ce souvenir douloureux est gravé en moi, dans ma chair, dans notre famille, dans notre histoire, je devrais immanquablement en reparler lorsque je retomberai enceinte. « C'est votre première grossesse ? » Non, ce sera la troisième, même si je n'ai qu'un enfant. J'aurais immanquablement peur que cela se reproduise. La grenouille n'est pas non plus sortie indemne de cette épreuve, elle en reparle parfois, à des moments incongrus mais toujours avec des mots d'une justesse surprenante.

Certains trouveront peut être cela déplacé ou impudique d'étaler cela sur un blog, ou même certains diront que « c'est pas si grave », que « ça arrive à plein de femmes », que « c'est mieux comme ça »,  c'est vrai, mais cela me fait du bien aujourd'hui de l'écrire et de le partager. Parce qu'au fond de moi, j'ai peur de l'oublier. La routine a repris le dessus si facilement que c'est un peu comme si cela n'avait jamais existé, comme si mon corps n'avait pas porté cette ébauche de bébé, n'avait pas perdu tant de sang, comme si nous ne nous étions jamais imaginé à quatre et avions été si près du but. Comme un fantôme qui est là mais qu'on ne voit pas.
Et j'espère aussi que certaines femmes se reconnaitront dans ce récit, se sentiront moins seules et surtout j'aimerais que cela ne soit pas un sujet tabou et qu'on puisse en parler librement. Parce qu'être enceinte est un événement fort dans la vie d'une femme, mais qu'il peut aussi parfois nous faire toucher du doigt la mort.




MAIS ON FINIT TOUJOURS PAR REMONTER !

Pour conclure ces montagnes russes émotionnelles, le lendemain, le Daddy me demandait en mariage … et je disais « oui » ...




7 commentaires:

  1. Merci pour ces mots. 4 grossesses, 5 bébés que j'aurai du serrer mais seulement 2 enfants que j'ai pu serrer.
    Cette première grossesse restera gravé a jamais, cette phrase LA phrase qui résonne toujours en moi "madame les nouvelles ne sont pas bonnes" pourtant je les voyais ils étaient bien là ces deux petits êtres avec leur tête, leurs jambes mais leur coeur n'y était plus. J'ai eu la joie de les porter plus de 3 mois mais malheureusement pas plus. On ne sort pas indemne d'une telle épreuve.
    3 ans et demi et toujours autant de haine envers la nature, cette nature soit disant bien faite... depuis j'ai mes 2 enfants qui me comblent de bonheur.
    Je t'envoie mon courage je ne sais trop bien ce que tu as vécu et ce que tu vis. <3

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  2. Vos mots me font du bien. Je viens de subir une aspiration, mes jumeaux étaient siamois et "comme la nature est bien faite",leurs cœurs se sont arrêtés. Ils auraient aussi du être là en début juin, j'avais aussi calculé le congé mat pendant les vacances d'été, la fin d'année scolaire bouleversée, une nouvelle vie avec bébé ... On a aspiré mes bébés, ("mes embryons" pardon), on a surtout "aspiré" mes projets.

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    1. Je suis sincèrement touchée par votre message et je vous souhaite beaucoup de courage en cette terrible épreuve, même si je sais que les mots ne peuvent pas grand chose contre cette douleur immense.
      Douces pensées

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  3. Je viens de tomber sur ton article qui m'a beaucoup touché. J'ai fait une fausse couche aussi, pendant ma première grossesse. J'ai trouvé ça très dur et même si ça arrive apparemment très souvent, on n'en parle pas assez. Je ne réalisais même pas que ça pouvait m'arriver. Et comme tu le racontes si bien, la culpabilité est bien là même si on n'y peut rien. Merci pour ce joli article.

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    1. Merci pour ton gentil message :) Je suis heureuse de savoir que tu as pu te retrouver un peu dans mes mots et je te souhaite de nombreux jours de bonheur à venir :)

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  4. Merci pour votre récit qui m'a touche . Oui on s'imagine et puis tout s écroule...
    Les autres avancent et nous on reculent
    Et oui 2 fausses couches en 2ans et demi
    Toujours pas de bebe et c'est dure très dure

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    1. Merci pour votre commentaire ! Je ne peux qu'imaginer à quel point cela est difficile. Je vous souhaite que l'avenir soit meilleur. Douces pensées à vous

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