How long ? HOW LONG ?

"Tu comptes l'allaiter combien de temps ?" Voilà la question qu'on me pose régulièrement et qui me turlupine dernièrement.

Cette question, posée parfois avec une pincée d'admiration ou souvent avec une pointe de reproche, est  en apparence anodine et pourtant ... Elle me tracasse ... parce que je n'en sais rien.

Au départ, lorsque la grenouille n'était encore qu'un petit tétard bien au chaud dans mon ventre, je me disais : "j'aimerai bien allaiter, enfin j'essaierai, on verra". Puis le bidou a poussé, on m'a répondu : "bah, pourquoi n'y arriveriez vous pas?", on m'a informée et rassurée, je me suis renseignée et l'envie d'allaiter et surtout de me donner les moyens pour y arriver a grandi, si bien que même si les premiers jours n'ont pas été faciles, l'allaitement s'est mis en place naturellement. Je me suis alors donné comme objectif d'allaiter jusqu'à 6 mois, jusqu'à la diversification. 

Aujourd'hui, la grenouille a 10 mois, et je l'allaite toujours. C'est un allaitement qui se passe bien, j'ai eu très peu de souci, même si cela ne s'est pas passé sans quelques petits tracas, rien d'insurmontable.   J'aime ce lien qui s'est créé entre ma grenouille et moi, un lien fort, de confiance et de partage, mais non exclusif : elle est très sociable, a tissé un lien fort avec son père et fait preuve d'une réelle volonté d'autonomie. Elle a pour l'instant été nourrie seulement au sein (en dehors des purées et autres compotes évidemment), je n'ai jamais tiré mon lait et ne lui ai jamais donné de biberon, ce qui renforce ce lien, même si cela est synonyme pour moi d'un "renoncement" temporaire à une certaine indépendance, mais ce que j'y gagne, et ce qu'elle y gagne elle aussi, est beaucoup plus important à mes yeux. Je me suis fixé comme nouvel objectif d'aller jusqu'à ses un an. Stormy Daddy approuve ce choix et est fier de ces liens tissés ensemble. La question qui se pose désormais à moi est : "Pourquoi ces deadlines ?" Et surtout : "Pourquoi ai-je tant de mal à les respecter et à être convaincue lorsque j'en parle?"

Je me suis interrogée aujourd'hui sur le : "Pourquoi je réponds "jusqu'à ses un an" quand on me demande combien de temps je compte encore l'allaiter ?" Et, en étant tout à fait honnête, je crois que c'est bêtement par peur du regard des autres et pour faire plaisir à mon entourage. Parce que, quand je me dis que je suis censée arrêter de l'allaiter dans deux mois, ça me tord un peu les tripes.

Pour être encore plus honnête, je crois aussi que cette réponse vient du paradoxe qui m'habite. Je me souviens de moi, avant d'être maman, qui regardait de travers cette maman qui a allaité sa fille jusqu'à deux ans, en me disant que c'était quand même trop et un petit peu bizarre, qui pensait que ces femmes se faisaient plaisir à elles mêmes plus qu'elles ne rendaient service à leur enfant, je me souviens avoir eu ce genre de conversations avec mes amies. Du coup, que penseraient-elles si je leur disais maintenant que j'aimerais allaiter encore un peu, elles qui me disent déjà que "un an ? mais c'est long !" ? Est ce que je pourrais vraiment leur en vouloir, à elles et aux autres, de me regarder de travers, alors que j'ai pensé la même chose qu'elles avant d'avoir mon bébé dans les bras ? Et pourtant, serai-je assez forte pour supporter ce regard ?

Dans le même temps, depuis que je suis maman, je dois avouer que cela "m'énerve" quand on me suggère que je devrais arrêter d'allaiter. Ma réponse serait alors une question : "Pourquoi devrais-je arrêter ? Quels arguments pouvez vous avancer en ce sens ?" En effet, je me dis : pourquoi paraît-il plus naturel et normal de donner à son bébé un substitut de lait, qui est censé reproduire au mieux le lait maternel, quand je peux justement lui donner "l'original, 100% naturel" ? Honnêtement, si vous aviez le choix entre un bon steak 100% pur boeuf et un substitut qui reproduit au mieux la viande de boeuf mais n'en est pas, vous choisiriez quoi ?

Pourquoi est-ce que je me sens obligée de me justifier quand mon choix me parait le plus naturel, alors que la "partie adverse" n'a pas besoin d'argumenter puisque c'est la norme et qu'elle a la société avec elle ?

Du coup, je me sens face à un combat perdu d'avance, où la logique ne fait pas loi.

Pourtant, je ne peux pas m'empêcher de penser que le meilleur pour ma grenouille ne se trouve pas dans un biberon. Tout d'abord, parce que je me suis un peu penchée sur la composition des laits maternisés, et que, franchement, ça me donne un peu la gerbouille : taurine, huile de palme, et tout un tas de choses pas bien identifiées ... honnêtement, ça ne me fait pas rêver. S'ajoute à ça que, quand ex-pédiatre me raconte que "bon, quand même, faudrait la passer au lait maternisé avant ses 7-8 mois, parce que sinon, après, les grenouilles, elles en veulent plus des biberons, parce que, il faut l'avouer, c'est quand même dégueulasse", bah ça ne me convainc pas trop comme argument. Enfin, ma grenouille étant allergique au lait (de vache, de chèvre et probablement de brebis), elle n'aurait donc droit qu'au lait de riz, qui n'est pas des plus intéressants au niveau nutritionnel et qui peut provoquer de la constipation, d'après ce que j'ai pu trouver comme information à ce sujet. Les laits de riz pour bébés sont cependant proches en qualité des laits maternisés classiques, mais je reste persuadée, à tort ou à raison, que mon lait est ce qui est de meilleur pour ma grenouille. S'ajoutent à cela ma flemme légendaire que l'allaitement ne vient pas contrarier (pas de biberons à nettoyer ou à balader, pas de risque d'oubli ou de pénurie, pas d'étape chauffe-biberon ou micro-ondes au milieu de la nuit, pas besoin d'un sac à langer enormous pour trimballer tout le bazar ...) et le fait que, quand même, je dois bien le dire, j'aime bien allaiter et ces petits moments rien qu'à nous.

Le contre-argument qui revient souvent concernant mon allaitement long est ma santé, notamment avec le régime que je dois suivre à cause des allergies de la grenouille. Il ne faudrait pas que cet allaitement provoque une trop grande fatigue et des carences. Je dois avouer qu'il faudrait que je prenne rendez-vous chez un médecin pour faire un check-up à ce sujet et que je prenne davantage soin de moi, et que je trouve très gentil qu'on s'inquiète pour moi. Et si un avis médical éclairé me déconseillait de continuer de nourrir ma grenouille pour préserver ma santé, je le suivrais et mettrais fin à mon allaitement, mais il n'en est rien pour l'instant. Je reprends doucement mon rythme pour le travail, je suis certes un peu fatiguée, mais pas plus que la normale, et si carences il y a, compléments alimentaires il pourra y avoir, avant d'envisager la mise en place du plan d'urgence et la fin de l'allaitement.

Je pense donc, après toutes ces interrogations et réflexions, que je vais arrêter de dire que je compte allaiter ma grenouille jusqu'à ses un an pour dire la vérité : je ne sais pas jusqu'à quand je compte continuer. Les dates que je donne sont plus des bornes "kilométriques" à franchir que des deadlines à respecter. Si après ses un an, ma grenouille veut encore de mon lait, elle l'aura. Cependant je me mettrai peut-être un peu moins de pression. Et si je décide de sortir ou de m'accorder un peu de temps, je ne m'empêcherai pas de lui proposer un biberon de lait de riz, une fois de temps en temps, pour avoir un peu plus d'indépendance, pour pouvoir passer du temps en amoureux avec Stormy Daddy, pour pouvoir faire un resto entre copines et avoir une conversation d'adulte.

Est-ce que j'y arriverai ? Ma lactation y résistera-t-elle ? Combien de temps aurai-je encore envie d'allaiter ? Mon "indépendance" ne me manquera-t-elle pas ? Supporterai-je le regard et les remarques des autres ? Jusqu'à quand voudrais-je fonctionner de la sorte ? Je n'en sais rien, je n'en sais toujours rien, mais désormais, j'arrêterai de donner une réponse et de faire comme si je savais.